Si la rivalité entre la télévision et le cinéma existe depuis la nuit des temps dans l'histoire cinématographique, elle n'a jamais été autant d'actualité tant les séries télévisées ont rivalisé d'ingéniosité et de créativité durant la dernière décennie pour concurrencer le septième art en terme de popularité mais également de qualité. Et le pari a été réussi. Alors que parallèlement le cinéma Hollywoodien se complaisait dans la stagnation, les programmes télévisuels ont trouvés de plus en plus écho auprès du public de telle sorte qu'il est devenu plus courant d'entendre les gens parler des dernières séries à la mode que des derniers films sortis. Il est inutile de faire un inventaire des séries qui ont le plus marquées le paysage du petit écran durant ces dernières années, ces quelques lignes vont davantage s'intéresser aux modifications générales qu'ont connues les séries télévisées et qui continuent à se développer encore aujourd'hui.

 

 

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L'abandon des épisodes individuels

 

 

Durant de nombreuses années, beaucoup de séries ont adoptées un schéma narratif se reposant sur des épisodes individuels. Le concept de base de la série est posé durant les premiers épisodes, par la suite les personnages évolueront dans des intrigues trouvant un début et une conclusion dans l'épisode en entier. Les épisodes n'ont généralement pas de connexion entre eux ni d'intervenants communs hormis les personnages principaux, de ce fait en étant déconnectés ils permettent d'être regarder sans avoir une connaissance totale de la série. L'objectif commercial est bien évidemment de permettre à tous les spectateurs de regarder les épisodes sans qu'ils se sentent perdus pour ne pas avoir suivi la série depuis le début, néanmoins ce procédé limitait clairement la créativité des séries télévisées et l'empêchait même d'exploiter sa principale force : sa longévité. L'exemple le plus évident en la matière est celui des séries policières qui continue à poursuivre encore aujourd'hui le même schéma, néanmoins même une série comme X Files (série emblématique des années 90) était marquée par ce procédé. En effet, sur les 201 épisodes qui composent la série, seuls 75 sont en réalité nécessaires pour la compréhension de la mythologie.

 

Durant la dernière décennie, les séries américaines auront eu l'audace de briser ces chaines et de prendre le risque d'instaurer des intrigues longues se déroulant sur toute une saison. A ce titre, il convient de saluer l'évolution apportée par la série Lost qui a été l'une des premières séries cultes à trouver un compromis en la matière. Chaque épisode est au départ indépendant des autres car il se consacre sur l'histoire d'un protagoniste en particulier, généralement au centre des évènements de l'épisode. Néanmoins en arrière fond, toute une intrigue se développe au fil des épisodes rendant indispensable le visionnage de l'intégralité de la série pour comprendre le mystère qui l'entoure. La série avait d'ailleurs jouée ingénieusement sur l'étrangeté de son univers pour inviter le spectateur à être régulier afin qu'il ne loupe aucune pièce du puzzle qui lui est présenté.

 

 

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24 H Chrono aura poussé le pari encore plus loin avec sa narration basée sur le temps réel et impliquant qu'il n'y ait aucune interruption de l'action entre les épisodes forçant le spectateur à faire preuve de régularité sous peine d'être vite perdu dans l'accumulation rapide des évènements. Ce changement d'orientation aurait pu être un désastre car le spectateur est rapidement laissé de côté s'il n'a pas suivi la série depuis le début, cela aura au contraire permis la libération et l'épanouissement des séries modernes. Il est désormais courant de voir les séries développer une longue intrigue non seulement sur une saison entière mais sur toute la série au global, il est en effet devenu impossible de comprendre la portée d'un récit télévisuel en commençant par une saison avancée.

Cette évolution a considérablement changée la manière dont les spectateurs perçoivent les séries, plutôt que de regarder simplement un passe temps hebdomadaire c'est tout un univers familier et qui évolue au fil des ans que côtoie le public. Cela a aussi indirectement changé la façon de suivre les séries, avec ce fil conducteur régulier il est désormais beaucoup plus appréciable pour la compréhension de l'intrigue et de la structure globale d'une série de visionner celle ci à la suite et sans interruption plutôt que quelques épisodes par intervalle où le spectateur a le temps de perdre le fil du récit et d'oublier quelques éléments importants. Ce qui explique que malgré l'engouement général des séries américaines, le piratage et le visionnage en streaming sont toujours bien plus vivaces que la programmation hebdomadaire sur les chaines de télévision.

Le changement n'est pas non plus totalement radical, beaucoup de séries continuent encore à perpétrer sur leurs intrigues à long terme des péripéties qui ne durent que le temps d'un épisode. D'autres séries n'ont tout simplement pas franchi le cap à l'image des séries policières, déjà mentionnées, qui se basent toujours sur le même principe (le concept de ses séries s'y prête davantage en même temps). Mais il est par exemple regrettable qu'une série pétrie de qualités commeDr House répète inlassablement un schéma narratif récurrent et se rapproche davantage sur des intrigues épisodiques que celles sur le long terme, ce qui limite sa créativité.

 

 

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La fin du rêve américain

 

L'évolution narrative des séries américaines ne s'est pas simplement portée sur ce changement de rythme mais également dans le ton adopté. Beaucoup de séries marquantes de ces dernières années se font fait remarquer par leur dimension sociale et critique rapprochant également le spectateur de ses propres questionnements sur la société moderne. L'un des exemples les plus marquants et inattendus en la matière est le cas de Dexter. Alors que la série est supposée raconter le quotidien d'un serial kiler, tout le propos est orienté vers une remise en question de la société superficielle américaine qui se focalise tellement sur les apparences qu'elle en rejette l'humain et ne cherche même pas à cacher sa fascination pour la violence. Malgré les actions de son héros déchiré, la série mise davantage sur le rire que la peur, Dexter analyse constamment avec cynisme et humour noir son entourage et l'obsession pour la réussite américaine.

Dans un contexte plus proche du spectateur ordinaire, la série Breaking Bad porte également sa critique sur le quotidien américain. Le héros, Walter White, est l'archétype du citoyen ordinaire qui a mis de côté ses ambitions et son rêve personnel pour adhérer aux conventions et obligations dictées par la société à tel point qu'il est écrasé par le monde qui l'entoure. L'annonce de son cancer incurable va le sortir de sa torpeur et l'amener de plus en plus à briser les codes moraux et de bonne conduite qui le retenaient jusqu'à alors. Même si le personnage va de désastre en désastre et ne tire finalement que peu de réussite de son entreprise, Walter White semble malgré tout ressentir un plaisir macabre à trahir cette société qui l'a condamné à la discrétion en pouvant enfin s'en émanciper

 

 

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D'autres séries ont poursuivies cette remise en cause des conventions de la société comme Sons Of Anarchy qui prône la liberté et le désir d'Indépendance, The Shield qui voit un policier privilégier son bonheur individuel au lieu de sa conscience professionnelle. Dans un registre moins excessif, violent mais tout aussi pertinent, la série Dr House a acquis sa personnalité sur le franc parler et le cynisme de son héros. Rompant avec la représentation traditionnelle du médecin compatissant, Dr House assume clairement sa liberté d'expression quitte à en paraître antipathique en disant fréquemment tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Si la série mise énormément sur le côté décalé du personnage, elle n'est pas dénuée d'une certaine gravité dans le portrait pathétique de son héros qui voudrait désespérément parvenir à briser les apparences sans se faire détester dans le même temps. Contrairement à beaucoup de séries au contexte similaire, le propos de Dr House dépasse ainsi largement celui du cadre médical pour se concentrer sur l'attitude quotidienne des individus dans la société et notre tentation d'outrepasser les règles de morale établies.

 

S'éloignant des personnages souvent très propres et politiquement corrects qui étaient jusqu'ici quotidiens dans les séries américaines, la dernière décennie a été le théâtre de protagonistes enfin dotés d'une véritable liberté d'expression et qui à travers leur remise en cause de la société moderne se rapprochent, malgré leur excentricité apparente, de la réalité du spectateur et de sa confrontation quotidienne avec les règles modernes.

 

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Une créativité exacerbée

 

Se basant sur les évolutions déjà mentionnées, les séries américaines ont commencées à gravir les échelons petit à petit et témoignent aujourd'hui d'une créativité qui a de quoi faire inquiéter Hollywood. En premier lieu, la mise en scène atteint un niveau de qualité général de plus en plus soigné à tel point qu'elle surpasse la réalisation de plusieurs films. Même si néanmoins, des inégalités se creusent et toutes les séries télévisées n'accordent clairement pas la même importance à leur réalisation, à ce sujet ma préférence personnelle va pour celle de Breaking Bad qui est l'une des rares séries à se permettre quelques moments oniriques et symboliques qui ne trouvent une signification concrète que tardivement.

Les acteurs vedettes de ses séries télévisées sont également un sujet révélateur, en effet beaucoup d'entre eux sont des comédiens récurrents du cinéma étant généralement limités à des seconds rôles et qui trouvent dans les séries un rôle de premier plan. L'exemple de Ron Perlman est le plus explicite, le comédien a tout de même une jolie filmographie (Alien 4, la Cité des Enfants Perdus, la Guerre du Feu, Hellboy, Blade 2 etc etc) mais pourtant son rôle dans Sons Of Anarchy est peut être celui qui le fera le plus connaître aux yeux du grand public. Plus récemment, la présence de Sean Bean éternel second rôle (Goldeneye, le Seigneur des Anneaux, Troie, The Island etc etc) en tête d'affiche de Game Of Thrones a été ma principale motivation à regarder cette série.

Avec cette hausse de qualité, les séries américaines ont également été le théâtre d'une multiplication des genres qui élargit ainsi le public potentiel. Si les enquêtes policières sont encore largement omniprésentes, des genres autrefois délaissés sont également revenus sur le devant de la scène avec de plus grandes ambitions comme le Western (Deadwood et bientôt Hell on Wheels), les Zombies (The Walking Dead) ou la fantasy (Game Of Thrones). L'engouement suscité d'ailleurs par cette dernière série qui, malgré ses qualités, est pourtant loin d'être le programme le plus maitrisé et abouti témoigne des attentes des spectateurs d'avoir un spectacle télévisuel de qualité dans le genre qui leur correspond.

 

 

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La longévité : une bénédiction et un fléau

 

Tout n'est néanmoins pas étincelant aux pays des séries télévisées et avec ces évolutions, les programmes télévisuels font également face à de nouveaux obstacles. En premier lieu, plus que n'importe quel autre média, le déroulement des séries est tracé suite à une logique commerciale qui incite à continuer le récit tant que les audiences sont satisfaisantes et même si la série n'a plus grand chose à raconter. Contrairement aux films où le propos doit de toute façon être condensé en quelques heures, il est beaucoup plus difficile pour une série de garantir un niveau de qualité et surtout une cohésion de l'ensemble sur le long terme.

Ce fut par exemple le cas avec Desperate Housewives qui avait pourtant commencé sur d'excellentes bases avec une narration et une mise en scène qui lui étaient spécifiques ainsi qu'un portrait désabusé sur la société aisée américaine. La série est finalement tombée dans son propre piège en devenant caricaturale là où elle était plus subtile tout en présentant des intrigues de plus en plus conventionnelles et invraisemblables. Par pallier à ce problème, certaines séries font preuve d'une certaine lâcheté en ralentissant le rythme des péripéties et l'évolution des protagonistes pour garder matière à exploiter durant les saisons suivantes, c'est notamment le cas de la saison 5 de Dexter qui est indéniablement celle où il se déroule le moins de choses (le héros arrive presque au même point de départ entre le début et la fin de la saison) et où pour la première fois dans la série, le sentiment de redite se fait cruellement sentir.

 

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Au delà de ses difficultés, le principal soucis des séries télévisées tient également à la pertinence de sa conclusion. En effet tout récit qui se respecte se base sur l'efficacité du dénouement de son histoire, or pour une série télévisée il s'agit de conclure des années de narration, de thèmes abordés et de personnages que le public a eu tout le temps de s'approprier. La majeure partie des séries qui ont été évoquées dans cet article n'ont d'ailleurs toujours aucune conclusion à l'heure actuelle et celle ci peut pourtant grandement influencer la vision d'ensemble d'une série. Dans ce contexte, la déception majoritaire du final de la série Lost (malgré les réels défauts de ce dénouement) n'était t-elle pas inévitable et un certain présage d'un problème qui va se généraliser pour les séries ?

 

Il faut d'ailleurs reconnaître l'honnêteté de certaines séries qui tiennent à garder leur niveau de qualité et à s'arrêter au moment venu comme Breaking Bad qui s'achèvera de toute façon à la saison 5 (même si la production lutte pour que la série se poursuive davantage). Il existe également des phénomènes inverses où une série est stoppée en plein élan sans avoir pu développer son propos à l'image de la série Rome où la saison 2 condense désespérément en quelques épisodes l'intrigue qui aurait du se développer sur deux saisons. Outre l'inégalité des saisons et la difficulté de faire un dénouement cohérent, il existe également ces séries à buzz dont tout le monde parle dés la première saison et dont l'impact retombe à une vitesse vertigineuse tel Prison Break ou Heroes.

 

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Conclusion

 

Ces dernières lignes mettent en évidence la difficulté pour les séries télévisées américaines de contrôler leur créativité, le potentiel narratif étant tellement consistant qu'il peut provoquer la réussite et l'échec d'un programme. Avec l'épanouissement des intrigues, la maturité du ton adopté, la multiplication des genres et le soin apporté à la mise en scène, les séries américaines ont déployés tous les moyens imaginables pour conquérir le public. Si leur importance auprès des spectateurs est désormais acquise, il leur reste maintenant à évoluer pour contrôler totalement leur récit, la difficulté étant toujours la dimension commerciale qui joue plus que jamais dans la balance. Néanmoins rien n'aurait prédit il y a une quinzaine d'années cette montée en puissance qu'allaient connaître les programmes télévisuels, il y a donc toutes les raisons de continuer à être optimiste envers la créativité du petit écran.